Unwanted aborde l’histoire des femmes qui ont subi des viols. Viols comme des armes de destruction massive encore aujourd’hui utilisées dans des zones de conflit. Viols dont sont nés des enfants traumatisés par leur histoire filiale, ostracisés à cause du tabou de leur naissance. Pour écrire ces récits, Dorothée Munyaneza est allée à la rencontre de ces mères rejetées, de ces femmes blessées et leur a posé toujours la même question : « Vous êtes-vous acceptée ? »
DOROTHÉE MUNYANEZA (France)
Dans ma recherche artistique, je confronte ma mémoire à celle de mon pays, à celle des rescapés Tutsis. Je m’intéresse également au corps de la femme, et plus particulièrement lorsque celle-ci est malmenée, maltraitée, abusée, physiquement et psychiquement, en temps de conflit. Ce travail sur le corps féminin ne pouvait débuter qu’auprès des victimes du génocide des Tutsis. Les données sont imprécises, mais il faut savoir qu’au Rwanda, entre avril et juillet 1994, de 100 000 à 250 000 femmes ont été violées durant les 100 jours du massacre, qui a fait plus de 800 000 morts. On dénombrerait, selon Human Rights Watch, entre 2 000 et 5 000 enfants nés de ces viols. Ce qui a eu lieu il y a 22 ans a évidemment laissé des séquelles en moi, en ces mères, en ces enfants. Prenant de la distance avec un propos strictement autobiographique, c’est aujourd’hui leur parole que je veux porter.
Je veux parler d’elles, qui ont vécu le viol comme arme de destruction massive, de ces femmes qui ont été violées et violentées quotidiennement par des hommes et quelques femmes assoiffées de sexe et de pouvoir dans le but de les dominer, les expulser, les torturer, les terroriser, les exterminer – les envahir à jamais en leur contaminant le sang par le virus du sida. Beaucoup de ces femmes, encore aujourd’hui, vivent dans des zones de conflit où cette arme est constamment braquée sur elles, et où les exécuteurs continuent de vivre impunis, d’autres vivent avec les séquelles de cette guerre qui persistent malgré les années passées. Leurs corps étaient tels des champs de bataille.
Je veux parler d’eux, enfants de bourreaux et de victimes. Des enfants souvent visés pour le crime de leurs pères. Des enfants visés car leurs mères ont décidé de les laisser vivre. Des enfants qui se battent pour continuer à vivre. Je les ai rencontrés. Toujours la même question : vous êtes-vous acceptés ? Beaucoup préfèrent le silence - que dire, à qui, pourquoi diable se soucier d’elles ? Pourquoi diable se soucier d’eux ? Certaines, dans la confiance partagent leur intimité bafouée ; sans amour propre, comment aimer autrui, même s’il s’agit de la chair de sa chair ? Certains m’ont confié leurs douleurs, l’absence du père, l’enfance pleine de violence et de haine, et parfois de l’amour, de la danse et de la musique. Comment s’accepter quand le père a exterminé la famille de la mère ? Comment se construire à présent quand des deux côtés il n’y a plus de fondation, plus de famille ?
J’entends un chœur de femmes, de témoignages, puis de temps en temps une voix, seule, telle une soliste qui plane au-dessus de toutes les autres. […] Je chante accompagnée. Holland Andrews est là. Jeune. Afro-américaine. […] Sa façon de chanter, de passer d’une voix lyrique à une voix rauque, gutturale, d’aller gratter là où l’âme souffre et y déposer un baume tout en composant avec des pédales d’effets un chœur à elle seule ou avec moi, jouera un rôle important sur le plateau. Alain Mahé est là. Je veux travailler avec lui sur une matière sonore de témoignages, qui aura une place importante dans le dispositif de ce projet. Je le vois parmi ses machines, ses objets, il les manipule, extrait des sons de leurs entrailles. […] L’œuvre plastique de Bruce Clarke aussi est là. Une femme multiple, verticale, monumentale.